Droit constitutionnel : Matière d'une constitution
Une Constitution peut s’analyser sous trois angles : la philosophie qu’elle exprime, l’organisation du pouvoir qu’elle met en place, et le formalisme qui la caractérise en ce qui concerne, notamment, la procédure de révision.
A. Une Constitution exprime des valeurs
Une Constitution n’est jamais neutre, elle se recommande de valeurs, elle définit des principes, elle exprime, plus ou moins explicitement, une certaine philosophie de l’homme, du pouvoir et de la société. A cet égard, trois catégories de dispositions sont hautement significatives.
Pas de Constitution sans garantie des droits
En premier lieu, la notion de Constitution est étroitement liée à celle de garantie des droits. Ainsi est rédigé l’article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution.»
Le préambule de cette même Déclaration rappelle que les droits de l’homme, et particulièrement de l’individu, sont des droits naturels, inaliénables et sacrés, ce qui justifie leur antériorité par rapport aux pouvoirs (législatif et exécutif) : l’État n’a pas sa fin en lui- même, sa fin est dans le bien commun de la société et des personnes qui la composent
L’énumération de ces droits est également révélatrice sur le plan de l.i société. On pense par exemple à la liberté religieuse (art. 11) et aux conséquences qui découlent de la conception retenue sur le plan de l.i laïcité. On pense aussi à la portée sociale des articles 2 et 17 de la Décla ration de 1789, qui font du droit de propriété un droit naturel et imprescriptible (art. 2), inviolable et sacré (art. 17), de même qu’à celle des dispositions du préambule de 1946, qui met l’accent sur les libertés collectives.
2. Une Constitution définit un type de régime
Sont significatives en deuxième lieu les dispositions qui définissent les modalités de la compétition politique pour la conquête du pouvoir. Les dispositions relatives aux partis politiques sont à cet égard essentiel¬les. Quand la Constitution de la République populaire de
Chine dis pose dans son préambule : « Sous la conduite du parti communiste de la Chine et de la voie du marxisme-léninisme et de la pensée de Mao Zedong, les Chinois de toutes les nationalités continueront à adhérer à la dictature démocratique et à la route socialiste… » (rédigé en d’autres termes, l’article 6 de la Constitution de 1977 de l’ex-URSS ne disait pas autre chose…), c’est évidemment une autre démocratie qui est imposée que celle proposée par l’article 4 de la Constitution de 1958 : « Les partis et groupements politiques concourent à l’exercice du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement… »
On fera certes remarquer que le même article précise que ces partis « doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie », mais cette obligation ne définit pas une politique déterminée. De même que l’article 21 de la Constitution allemande, à la rédaction très voisine (« Les partis concourent à la formation de la volonté politique du peuple. Leur création est libre… »), l’article 4 de la Constitution française exige des élections libres au cours desquelles les différentes tendances de l’opinion pourront solliciter le suffrage des électeurs (ce qui ne signifie pas que toutes ces tendances seront repré¬sentées, car ici intervient la loi électorale).
Droit constitutionnel et institutions politiques 1 95
Pouvoir ouvert à différentes conceptions de l’action publique et objet de compétition entre des forces politiques concurrentes, dans un cadre défini par des libertés publiques garantissant sa régularité ? Ou bien pouvoir clos, refermé sur une conception exclusive de l’action publique, et dont un parti unique est le dépositaire ? (On doit à Georges Bur- dcau la distinction entre ces deux types de pouvoir, notamment dans son ouvrage La Démocratie.) Concurrence ou monopole ?
L’alternative n’est pas sans conséquence sur la conception du droit constitutionnel. L’idée de démocratie implique l’exigence de liberté. Parler de démo-cratie autoritaire est une contradiction dans les termes : si l’opposition disparaît, niée dans son principe ou, de fait, empêchée de se manifester, l’appareil constitutionnel devient une simple machinerie s’appa¬rentant à un décor de (mauvais) théâtre. Et parce que seule la liberté du citoyen donne légitimité à l’expression de sa volonté, l’expression de « démocratie pluraliste » s’apparente à un pléonasme.
3. Une Constitution distribue des compétences et organise des procédures
Enfin et en troisième lieu, garantie des droits et affirmation du principe démocratique seraient sans portée s’il n’en découlait pas un ordre juridique, ce que l’on traduit le plus souvent par le concept à’Etat de droit.
L’Etat doit être soumis au droit. Certes. Mais l’Etat est en même temps maître du droit, tant en ce qui concerne sa production que sa sanction. Comment soumettre l’État au droit alors qu’il en est le plus souvent l’auteur ? Les réponses doctrinales sont diverses, mais dans la réponse concrète à la question posée, le droit constitutionnel apporte une contribution décisive :
D’abord en choisissant un mode de répartition territoriale du pouvoir (Etat fédéral ou Etat unitaire ?), puis en distribuant les compétences entre différentes institutions tenues, chacune, au respect de procédures contraignantes. A cet égard, la doctrine de la séparation des pouvoirs de Montesquieu (qu’il serait plus juste d’appeler doctrine de la distribution des pouvoirs) délivre un enseignement qui franchit les époques : « Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites… Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. »
Ensuite en établissant une hiérarchie entre les actes de ces institutions, ce qui permet d’organiser le contrôle de chaque acte en le rapportant aux actes hiérarchiquement supérieurs. C’est la notion très classique de hiérarchie des normes.
Enfin, en permettant à chacun de s’adresser à un juge dont l’indépendance doit être garantie pour faire valoir ses prétentions, y compris à l’encontre de l’État lui-même. Il y a un droit constitutionnel à la justice, qui trouve son pendant dans un droit constitutionnel de la justice.