Droit et religion
Avant d’évoquer plus précisément les rela¬tions qu’entretient le droit avec les sciences normatives et les sciences positives, il est nécessaire d’insister sur son rapport avec la religion.
Il existe, à vrai dire, des règles de droit dont on imagine mal les rela¬tions avec des commandements religieux; ainsi en est-il des disposi¬tions du code de la route. Il en est d’autres, au contraire, dont on per¬çoit aisément les possibles rapports avec la religion, par exemple celles qui gouvernent le mariage — ou le divorce. L’existence de ces zones où peuvent se superposer le droit et la religion suscite divers ordres de réflexions, liés à des différences et à des influences.
Surtout là où le groupement est particulièrement imprégné par la religion — Islam, Inde, sociétés archaïques … — la distinction des règles de droit et des commandements religieux est souvent difficile et artificielle. Elle le devient encore plus lorsque, sous l’influence de cer¬taines théories sociologiques , l’on fait de la religion, au moins à un certain stade (théologique) de l’évolution des sociétés, le moteur essentiel de l’activité des hommes. Peu à peu, se sont pourtant dégagés des critères qui ont probablement la vertu de n’être pas seulement d’ordre méthodologique. D’une part, il est des préceptes qui, par leur contenu, s’accordent avec les impératifs de la religion, mais dont l’évangélisme est rebelle aux habituels canons du droit : il y a, par exemple, une contradiction entre la légitime défense et le comporte¬ment consistant à tendre l’autre joue . D’autre part, là même où le contenu des prescriptions inspirées par la loi religieuse est le même que celui des règles de droit (ex. : ne pas tuer, ne pas voler, …), l’on est conduit à considérer que les préceptes religieux concernent, au niveau de la sanction, les relations de l’homme avec la divinité, tandis que les règles de droit apportent dans leur sillage la sanction du groupe social.
La distinction ainsi dégagée n’exclut pas les influences. L’étude des grands systèmes montre l’existence d’ensembles juridiques fortement imprégnés par la religion, de sorte qu’il est utile de procéder à une étude comparée des influences des diverses religions sur les systèmes juridiques .
L’histoire des relations entre le droit et la religion est faite d’alter¬nances. Des positions diverses ont été dégagées : dissolution du droit dans la religion, séparation radicale ou démarche intermédiaire. Il y a des flux et des reflux. De toute façon, il ne s’en dégage pas une défini¬tion véritable du droit par la religion ou même par rapport à la religion. Un rapport de rupture rend malaisé le tracé d’une frontière : la laïcité est du droit, la règle affirmant le principe de laïcité est aussi du droit, donnant lieu à interprétation juridique On observe aussi à ce sujet une évolution profonde. Laïcité ? Lourd de la longue querelle de l’Eglise et de l’Etat, ce mot a pris au fil des temps un sens pacificateur. Affirmer le principe de laïcité, ce n’est aucunement nier la liberté de conscience et de religion. C’est au contraire reconnaître la liberté des croyances, mais en sauvegardant la République, au moyen d’une dis¬tinction, vitale pour celle-ci, de l’espace religieux et de l’espace poli¬tique. Rien d’étonnant si cette séparation s’est spécialement affirmée, après tant de combats, au sujet de l’école publique, car celle-ci est le premier et principal mode d’intégration à la République. De la conquête républicaine, on a tout naturellement déduit une exigence majeure : la neutralité de l’enseignement, qu’il s’agisse tant de l’accueil des élèves que du comportement des maîtres. Mais, de la simple neu¬tralité, qui assurait l’équilibre, on est passé progressivement à un tout autre sens : la laïcité implique, bien moins, négativement, la neutralité que, positivement, la tolérance, y compris dans les établissements sco¬laires, ce qui a notamment suscité des conflits en raison du port de signes d’appartenance religieuse (v., quant aux vêtements, infra, n° 24) .
A l’évidence, notre temps est celui d’un retour à l’interrogation sur le sacré, y
compris dans le droit . Plus généralement, on reconnaît
que le droit, objet et mode de connaissance, n’est pas seulement un s.ivoir; il est aussi une croyance, à laquelle, il est vrai, tous n’adhèrent pas, ou n’y adhèrent pas avec la même force de conviction. Mais ce qui < n découle est déjà porteur d’un certain message, né du dialogue depuis si longtemps entretenu entre celui qui croyait au droit et celui qui n’y croyait pas. Rien à cela d’étonnant, car le droit se cherche tou¬jours à travers ce qui tout à la fois l’inaugure et le qualifie : la divinité, la nature, la raison, le temps … Il y a dans toute croyance un retour et un pèlerinage aux sources de la lumière et de la vie.
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