L'œuvre d'art
Le droit reconnaît et protège toutes les créations dès lors qu’elles sont des œuvres de l’esprit exprimant la créativité d’un auteur. Seule est protégée la forme donnée par l’artiste à sa création et jamais l’idée qui est à son origine : la Seine a, par exemple, été peinte par de très nombreux artistes sans qu’aucun ne puisse revendiquer le monopole du sujet… et chaque toile est une œuvre originale si elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur.
Toutes les œuvres sont identiques en droit, sans distinction de mérite, de nature. Aucun jugement esthétique ne peut faire obstacle à la notion même , d’œuvre protégée : que la Seine ait été peinte par un célèbre impressionniste ou un artiste inconnu, toutes ses représentations sont identiques en droit.
Ce principe connu sous le nom de règle de l’unité de l’art permet une approche juridique générale et unique de l’œuvre d’art .Un des plus célèbres procès du droit de l’art opposa Brancusi au gouvernement américain : bien que jugé en droit américain, il constitue une bonne introduction à la notion juridique d’œuvre d’art. L’affaire se passe au début du siècle dernier, au moment où l’art abstrait vient d’apparaître en Europe, provoquant de nombreuses polémiques…
Le sculpteur Brancusi avait décidé d’exposer ses œuvres aux États-Unis.
En 1928 il expédia donc une sculpture intitulée Oiseau en vol (appelé aussi VOiseau dans l’espace) appartenant à sa fameuse série d’oiseaux très stylisés, qui marque son passage à l’abstraction.
La loi américaine exonérant de droits de douane toutes les œuvres d’art, il pensait n’avoir à payer aucune taxe particulière. Mais à son arrivée, les douaniers du port de New York refusèrent le statut d’œuvre d’art à cette sculpture abstraite qui ne ressemblait pas à un oiseau. Ils la taxèrent au poids, comme un banal objet métallique manufacturé ! L’art pour eux était figuratif ou n’était pas… Furieux, Brancusi, après avoir payé les droits de douanes, porta l’affaire devant un tribunal américain. Les avocats du gouvernement défendirent la thèse selon laquelle l’objet n’était pas une sculpture puisque non figurative. Le tribunal, à l’inverse, accorda la franchise douanière en ces termes :
Que nous soyons ou non en sympathie avec: ces idées d‘avant-garde et les écoles qui les incarnent, nous estimons que leur existence comme leur influence sur le monde de l’art sont des faits que les tribunaux reconnaissent et doivent prendre en compte.
Il nous apparaît que l’objet sur lequel nous devons statuer n ’a d’autres fins que décoratives, que sa finalité est la même que celle de n ‘importe quelle sculpture des maîtres anciens.
Et c’est ainsi qu’une simple question fiscale fit progresser la définition de l’œuvre d’art. Difficile aujourd’hui d’imaginer que l’on ait pu contester le statut d’œuvre d’art à une sculpture de Brancusi !
Après avoir précisé dans une première partie (I) ce qu’est en droit français une œuvre d’art et comment la jurisprudence applique aux formes les plus récentes des arts plastiques les critères traditionnels, la deuxième partie (II) analysera les droits des artistes sur leurs œuvres. Ces droits sont nombreux et de nature différente (patrimoniale ou morale). La troisième partie (III) imitera de la protection juridique des artistes dont l’œuvre serait contre-faite ou plagiée, après avoir fait le point des situations qui, par exception, permettent une utilisation libre et non autorisée. La quatrième partie (IV) présentera le cas particulier des œuvres réalisées à plusieurs.