L'œuvre d'art : Une création originale
créativité matérialise l’acte de création en lui donnant une forme qui la distingue d’une simple idée, l’originalité exprime la personnalité de son auteur. L’existence de ces deux conditions suffit en droit français à faire naitre une œuvre artistique.
Les exemples cités par le code permettent de mieux cerner ces notions, mais ds ne constituent rien d’autre qu’une illustration. En effet des œuvres non » liées peuvent exister et, à l’inverse, des œuvres citées par le code peuvent se voir refuser le statut, faute d’une originalité suffisante.
les dessins d’architecte (cités à l’art. L. 112-2) en sont un bon exemple, comme l’illustre une affaire jugée le 7 février 2001 par la cour d’appel de Paris.
Un architecte avait conçu un immeuble pour un office de HLM qui décida de le ravaler. Les travaux de ravalement n’ayant pas respecté les caractéristiques de l’immeuble (en particulier pour les fenêtres), l’architecte attaqua l’office pour non-respect de son œuvre.
La cour repoussa sa demande considérant que la façade avait été conçue de façon purement utilitaire, sans véritable originalité et qu’en conséquence elle n’était pas protégeable. L’architecte n’a pu apporter une preuve convaincante de l’originalité de son dessin et ce, malgré le témoignage suivant fourni par l’ordre des architectes : « l’originalité de ce projet n’apparaît pas pour l’essentiel dans son descriptif mais à l’examen des plans de l’ouvrage construit ».
À l’inverse une exposition artistique a été considérée comme une œuvre protégeable, parce qu’un tribunal a reconnu que sa conception attestait de l’existence d’un véritable travail de création intellectuelle. Cette reconnaissance ne vaut bien sûr pas pour toutes les expositions et nécessite toujours de pouvoir prouver au cas par cas la créativité et l’originalité.
Dans le domaine artistique, le critère de l’originalité pose finalement peu de problème d’interprétation et le statut d’œuvre d’art d’un tableau ou d’une sculpture est évident, quelle que soit la technique ou les matériaux utilisés : nul ne conteste le statut d’œuvre aux « ready made » de Duchamp composés d’objets usuels comme l’urinoir de la sculpture Faim tain ou aux monuments « emballés » par l’artiste Christo.
Parmi les nombreuses formes d’art plastique qui existent aujourd’hui les photographies qui posent beaucoup de problèmes et suscitent de nombreux contentieux malgré la réforme apportée par la loi de 1985.
En effet, avant 1985, seules les photographies à caractère artistique ou documentaire étaient des œuvres d’art. La loi de 1985 supprima toute restriction en introduisant dans la liste du code les œuvres photographiques. Cette simplification ne supprima cependant pas les contestations. Certaines photos sont considérées comme reproduisant la réalité sans apport personnel du photographe : les juges ont tendance à leur refuser le statut d’œuvre d’art. D’autres accèdent au statut artistique parce qu’elles portent l’empreinte personnelle du photographe aux yeux du juge saisi.
Les photos de plateau sont-elles juridiquement des œuvres d’art ?
Lors du tournage de films, de nombreuses photos sont prises par des photographes de plateau rémunérés pour leur travail. Elles sont utilisées pour la promotion des films, insérées dans le dossier de presse envoyé aux journalistes et utilisées lors de la publication de livres sur le tournage du film. Il arrive parfois que des publicitaires souhaitent réutiliser ces photos pour des campagnes publicitaires et s’adressent alors aux sociétés de production. C’est ce qui s’est passé à propos de trois films : Les Tontons flingueurs, Un éléphant ça trompe énormément, Et Dieu créa la femme.
Pour chacun de ces films, une autorisation avait été demandée à la société de production qui avait rémunéré le photographe de plateau lors du tournage, mais pas au photographe lui-même (ou à ses héritiers).
Est-ce suffisant? Non, si la photo est une œuvre puisque toute création ne peut être exploitée qu’avec l’autorisation expresse de son auteur; oui, si elle n’en est pas une.
Alors une photo de plateau est-elle suffisamment originale pour être protégée, le photographe de plateau est-il un technicien ou un artiste ?
Tout dépend des circonstances et aucune réponse générale ne peut être apportée :
- Pour le premier film, les photos des acteurs ont été prises au moment même du tournage, le « clap » apparaissant dans l’angle. Conclusion du tribunal saisi par le photographe : « les minimes différences tenant à l’angle de vue et à la profondeur du champ ne traduisent pas la démarche créatrice de J.-L. C. » La photo n’est pas une œuvre d’art.
- Pour le second film, la photo de l’acteur Jean Rochefort dans une position cocasse « relève du seul apport créatif du réalisateur ». La photo n’est pas une œuvre d’art.
- Quant au troisième film, la photographie représentait l’actrice Brigitte Bardot « souriant gracieusement ». La photo n’apparaît pas dans le film et elle traduit pour le tribunal la représentation que se fait le photographe de l’actrice. Conclusion : la photo manifeste une originalité créatrice et c’est une œuvre d’art. (Affaire jugée par la cour d’appel de Paris le 15 octobre 2003)
Sans considération de mérite ou de destination
Toutes les créations artistiques sont protégées sans distinction de mérite ou de destination comme cela a été énoncé dans l’affaire Brancusi contre États- Unis précitée et exprimé par le CPI à l’article L. 112-1. Aucun tribunal ne peut dénier le statut d’œuvre à une création qu’il estimerait laide ou indigne. Aucun jugement esthétique n’est recevable et les juges doivent respecter une neutralité absolue. Toutes les expressions artistiques sont protégeables et aucun courant ne peut être exclu, qu’il soit classique, moderne ou contemporain.
Les œuvres des arts appliqués sont protégées au même titre qu’une création purement esthétique. Certaines peuvent par ailleurs bénéficier du régime spécifique des dessins et modèles (soumis à un dépôt préalable) qui se superposera au régime des droits d’auteur sans le faire disparaître.
Seul le caractère purement utilitaire ou technique d’une création peut lui faire perdre son statut (et sa protection) dès lors que sa forme n’aurait d’autre raison d’exister que sa fonctionnalité.
A titre d’exemple, une chaise n’est pas en tant que telle une création protégeable sauf si sa forme, sa couleur ou sa matière atteste de son originalité et de la créativité de son auteur, ce qui est presque toujours le cas !
Un manteau dessiné par Sonia Delaunay et donné par l’héritier de cette dernière au Musée de la mode et du textile est une œuvre d’art, de même que les fontaines et les dallages dessinés par l’artiste Buren à Lyon, place des Terreaux (ces deux affaires seront présentées ultérieurement).
L’éclairage d’un monument public (il s’agissait de la tour Eiffel) a été récemment reconnu comme une œuvre protégée de même qu’un feu d’artifice.
Un champ dans lequel pousse spontanément arbres et fleurs n’est pas une œuvre mais un jardin dessiné en est une, qu’il soit un simple jardin ou la création d’un artiste du mouvement « Land Art ». Le caractère éphémère de leurs travaux qui allient pierres et végétaux situés souvent en milieu naturel n’est pas un obstacle à leur statut d’œuvre d’art.
Sans formalisme ni taxe
Aucune formalité n’est nécessaire pour qu’une création devienne une œuvre d’art protégée juridiquement dès l’acte de création. Cette liberté n’existe pas pour les autres droits de propriété intellectuelle de nature industrielle : brevet, marque et dessins et modèles. Un dépôt suivi d’enregistrement à l’institut national de la propriété industrielle (TNPI) est, pour eux, un préalable nécessaire. Une taxe est de plus perçue par l’organisme qui délivre alors un certificat attestant de la propriété du déposant.
De nombreux artistes croient qu’un dépôt est nécessaire pour accéder à une protection juridique, c’est totalement faux. Aucune taxe n’est requise, la gratuité est totale.
Cette absence de formalisme se retrouve d’ailleurs dans tous les pays qui ont signé et ratifié la convention de Berne de 1886, qui l’impose à ses membres (pays européens, États-Unis, Chine et, de façon générale, tous les pays membres de l’Organisation mondiale du commerce).
Cette liberté présente des avantages (gratuité, simplicité) mais présente aussi des inconvénients : la preuve de l’originalité et de la date de création, préalable nécessaire à toute action de défense, peut s’avérer difficile. Pour pallier ces difficultés, il peut être souhaitable de se protéger en recourant à un dépôt privé (et payant).
Le recours au dépôt d’une enveloppe Soleau (du nom de son inventeur) est une première possibilité, simple et pratique. Il s’agit concrètement d’une enveloppe qui présente deux compartiments (elle est disponible à l’INPI).
Dans chaque compartiment un exemplaire ou une description de la création est déposé et l’ensemble envoyé ou remis à l’INPI qui l’enregistre, perfore le document au laser puis retourne un compartiment au déposant. Pour une somme de 10 € (tarif 2005) l’organisme conservera l’autre compartiment pendant cinq ans (renouvelable une fois). Ce dépôt n’est en aucun cas constitutif de droit mais permet, en cas de problème, de prouver la date de la création en produisant en justice l’enveloppe déposée.
Des dépôts peuvent aussi être effectués auprès de sociétés d’auteurs comme l’ADAGP ou la SPADEM.
Le recours à un dépôt privé est prudent lorsque l’exploitation commerciale de l’œuvre est envisageable mais il ne dispense pas de devoir prouver l’originalité en cas de problème.
L’artiste Yves Klein, auteur des célèbres monochromes de couleur bleue, avait quant à lui choisi de breveter sa couleur qu’il appelait le bleu « 1KB » (.International Klein Blue). Il avait déposé en 1960 à l’INPI un brevet sous le numéro 63 471 protégeant le processus de création de la couleur. Le brevet protégea pendant 20 ans la « recette » chimique de fabrication de la couleur ainsi que sa texture mais bien sûr pas le tableau monochrome. Le brevet IK.B est tombé dans le domaine public en 1980 (un brevet dure 20 ans non renouvelable) mais l’œuvre reste protégée jusqu’en 2032 puisque Klein est mort en 1962.